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CHRONIQUE

Retraites : pourquoi le 49-3 est très problématique

02/03/2020

Le Maître a parlé, le majordome annonce, le PV de la réunion ministèriel où devrait être consignée la discussion lors de la réunion du Conseil des Ministres de la décision collégiale d'appliquer le 49-3 est sous-scellé dans le coffre-fort de Matignon.  En cas d'absence de discussion - ou que la décision soit mise à l'ordre du jour, le Conseil d'Etat pourrait invalider la décision.  Dans 50 ans, quand on pourra ouvrir le coffre.  

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Guillaume DuvalEditorialiste, Alter Eco

 

Ainsi donc le gouvernement a-t-il décidé, samedi 29 février, de recourir à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de la Vème république pour mettre un terme au débat parlementaire sur le projet de loi de réforme des retraites qu’il avait présenté le 24 janvier dernier.

A l’origine cet alinéa avait été introduit dans notre Constitution pour éviter qu’un gouvernement ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale soit empêché de gouverner : il a pour objet en effet d’obliger ses opposants à s’entendre sur le vote d’une motion de censure s’ils veulent pouvoir s’opposer à un projet de loi.

C’est la raison pour laquelle il avait été beaucoup utilisé par Michel Rocard après les élections de 1988, qui n’avaient pas donné de majorité absolue à l’Assemblée nationale, ou encore par Manuel Valls après 2015 parce que son gouvernement avait perdu la sienne avec l’éloignement des verts et des frondeurs socialistes. Même dans un cas de figure de ce type, il s’agit d’une procédure brutale à l’égard du Parlement et son usage est quasiment toujours contesté par l’opposition.


 

Une majorité absolue

Mais dans l’affaire des retraites, on ne se trouve même pas dans une situation de ce genre : le gouvernement dispose encore de la majorité absolue à l’Assemblée nationale même si le groupe LREM a perdu régulièrement des députés depuis deux ans et demi. L’usage du 49-3 dans de telles circonstances est très rare.

Après avoir déjà squeezé le débat parlementaire en commission en ne lui accordant que quelques jours pour examiner un texte qui, avec son étude d’impact, faisait quelque 1 500 pages, puis réclamé sans véritable fondement une « procédure accélérée » (pour une réforme qui doit entrer en vigueur en 2037... ), ce qui empêchera une seconde lecture du projet de loi au Parlement, il s’agit donc simplement d’empêcher qu’aille à son terme l’unique débat que l’Assemblée devait avoir sur ce projet de loi.


 

 

L’usage du 49-3 dans de telles circonstances est très rare. Il s’agit simplement d’empêcher l’unique débat que l’Assemblée devait avoir sur ce projet de loi
 

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Cet acte d’autorité vient couronner un processus de mise au point de cette réforme pour le moins baroque, alors qu’il s’agit de bouleverser de fond en comble la logique qui prévaut pour gérer le quart des dépenses publiques, engageant la vie de dizaines de millions de Françaises et de Français pour des décennies.

 

Au bout de deux ans de « concertation », on s’est vite rendu compte à l’été 2019 avec la publication du rapport Delevoye qu’en réalité rien de précis n’avait été convenu sur aucun sujet avec qui que ce soit. Ce rapport était de plus dépourvu d’éléments chiffrés et vérifiables tant au niveau global qu’au plan individuel.

L’étude d’impact du projet de loi, rendue publique très tardivement le 24 janvier dernier, est restée elle-même très lacunaire et les cas types présentés ont été bâtis de façon très contestable.

Le projet de loi, lui-même prévoit plus de 29 ordonnances, une procédure fort peu démocratique. Elle dépossède en effet le Parlement de l’essentiel de ses prérogatives pour définir la loi : il ne peut dès lors qu’approuver ou non en l’état le texte mis au point par le gouvernement. Le recours massif à de telles ordonnances, non encore rédigées, fait que le projet de loi actuel ne permet pas de se faire une idée réellement précise du futur système de retraites proposé.

Cet abus de la procédure des ordonnances, les faiblesses de l’étude d’impact et la précipitation injustifiée avec laquelle le gouvernement entend mener ce processus de réforme ont amené le Conseil d’Etat à rendre en janvier dernier un avis exceptionnellement sévère sur ce projet de loi.

Parallèlement, les fonctionnaires, qui risquent d’être les grands perdants de cette réforme, sont  toujours dans le flou sur les moyens que le gouvernement compte utiliser pour garantir que nombre d’entre eux, qui reçoivent peu de primes, ne perdent pas 20 % ou 30 % de leur retraite future. Tandis qu’aucune avancée n’est actée à ce stade pour mieux prendre en compte la pénibilité des métiers parallèlement à la suppression des régimes spéciaux.

Effet désastreux

Résultat de ce processus mal mené : tous les sondages réalisés ces dernières semaines montrent que les Français désapprouvent majoritairement ce projet. Les organisations syndicales de salariés opposées à la réforme sont représentatives de la majorité d’entre eux tandis que le patronat n’est pas demandeur. Dans un contexte déjà si délétère, la raison principale du recours à l’article 49-3 tient sans doute, au-delà du nombre des amendements déposés et de la longueur des débats qu’ils entraînent, à l’effet négatif que produit le débat parlementaire dans l’opinion en montrant clairement aux Français le niveau d’impréparation et d’imprécision de cette réforme.

 

Si ce gouvernement voulait dresser les Français les uns contre les autres, susciter le désordre dans le pays et renforcer la défiance à l’égard de la démocratie représentative, il ne s’y prendrait sans doute pas autrement

 

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En décidant de passer ainsi en force malgré une légitimité très insuffisante, le gouvernement peut certes réussir à faire adopter son projet dans le cadre des institutions très déséquilibrées de la Vème république. Mais il risque au final d’engendrer plus d’incertitude sur l’avenir et la stabilité de notre système de retraites après la réforme qu’il n’en existait auparavant dans la mesure où de nombreuses forces sociales et politiques voudront la remettre en cause. Un résultat absurde. Si ce gouvernement voulait dresser les Français les uns contre les autres, susciter le désordre dans le pays et renforcer la défiance de nos concitoyens à l’égard de la démocratie représentative, il ne s’y prendrait sans doute pas autrement.

 

Dans ce contexte nouveau, une question est posée en particulier à celles et ceux qui, parce qu’ils approuvent le principe d’un système de retraites à point, ont accepté jusque là, même en maugréant, d’accompagner cette réforme : vont-ils, peuvent-il, continuer à apporter leur caution à un processus conduit de manière aussi évidemment autoritaire et peu démocratique ?


 


 


 

 

Tag(s) : #Capitalisme, #En lutte, #Livres, #Sociale, #Répression
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